Premiers haïkus de l’année

Comme d’habitude, tous les textes sont Tous droits réservés © Julie Turconi (utilisation ou reproduction interdite sans l’autorisation de l’autrice). Merci!

Une année s’achève, particulière à bien des égards, et une autre commence avec la réalisation d’être si peu de choses dans cet univers si vaste qu’on ne peut même l’appréhender. Chaque tentative provoque un vertige et nous plonge dans ce vide infini qui vient creuser notre poitrine et emplir nos âmes. L’éther nous veille, serein, imperturbable aux frasques d’une humanité trop fragile, trop évanescente. La lune s’arrondit tout là-haut, délicatement sertie dans son écrin de ciel, reine de la nuit, demeure de créatures fantastiques et diaphanes, si légères qu’elles tombent parfois par accident sur la terre, heurtées par un nuage un peu trop épais, et viennent peupler nos rêves de douceur et de blancheur…

pleine lune
le chat me regarde
avec des yeux ronds

Des yeux interrogateurs et joueurs, d’un chat qui voit bien, lui, toutes ces créatures qui dansent sur les murs et les plafonds, dans les rais de lumière, surfant sur les ombres. Il n’y a qu’à le regarder les épier, sauter, détaler… Mon chat est un maître de la fantaisie. Et moi, je souris.

Ce début d’année nous amène enfin un semblant d’hiver et quelques flocons qui épaississent peu à peu le couvert neigeux. La ville est bientôt plongée dans le blanc et le gris : le ciel, bas, semble vouloir avaler le monde et le vent fait danser les flocons. En tendant l’oreille, je pourrais presque les entendre tinter les uns contres autres.

ciel et terre
se confondent dans le blanc
je perds le nord

mariage en blanc
le ciel et la terre s’unissent
sous les flocons

Le vent tombe, les flocons se raréfient. Le ciel nous laisse entrevoir de nouveau sa vraie couleur : celle de la mer, des Rois, des rêves et de l’imaginaire.

première bordée ~
le chat attend pour sortir
que j’ai déneigé

Que serait mon univers sans cette boule de poils si adorable? Et au sens pratique extrêmement développé, il faut bien l’avouer. Pourquoi descendre dans la neige épaisse et s’y enfoncer jusqu’au nez si l’humaine prend la peine de pelleter? Il a bien raison. D’ailleurs, parfois, j’attends que mon conjoint s’y colle.

Cette belle neige, virginale, invite à la marche avant que tout ne soit piétiné. Les oiseaux, toutes plumes gonflées, sont de sortie, décorant les branches à leur façon, gaie et insouciante, sous le soleil revenu.

finies les fêtes ~
sur la branche une boule
au bec grand ouvert

Ce début janvier nous offre aussi l’occasion de faire honneur à la tradition et de déguster une délicieuse galette des Rois. Cette année, j’ai même eu la fève! Bon, évidemment, quand on est juste deux, la chance n’y est pas pour grand-chose. Les probabilités, elles, par contre…

galette des rois
sous la table des moutons
tout floconneux *

* Clin d’œil au rituel familial de la galette, quand j’étais enfant : le ou la plus jeune se mettait sous la table (c’était souvent moi), la maîtresse de maison coupait une part de galette et demandait à qui elle devait la donner. Impossible de tricher. Le hasard, seul, décidait de notre sort. Allais-je régner, même peu, même momentanément?

galette des rois
ma bonne étoile guide
ma main vers la fève

L’Épiphanie étant passée, les gens commencent à ranger les décorations de Noël. Les sapins, désormais obsolètes,  se retrouvent alors à la rue. Pas tous, cependant.
J’aime les sapins, j’aime notamment aller me reconnecter à la nature sous leur ombrage apaisant lors de mes marches au parc. Je profite alors du soleil, du pépiement des oiseaux, des bruits de la neige qui fond, de la glace qui craque sous mes chaussures, du vent qui bruisse dans les branches… et des odeurs des genévrier et des pins.

odeur de résine
sous les pins endormis
au sol la neige

Certains sapins rejetés par mes voisins, condamnés au ramassage par la Ville, trouvent ainsi refuge chez moi, sous les branches maternelles de ma belle épinette bleue. Un refuge temporaire, il est vrai, car une fois secs, ils me serviront à partir mes flambées hivernales. Dans l’intervalle, ils profitent de la compagnie des oiseaux, écureuils, mouffettes, ratons, chats et autres visiteurs à pattes, à poils ou à plumes.

sapins aux vidanges
des odeurs de résine
sur mon passage

début de l’année
je recueille les sapins
orphelins

De la résine plein les mains, je respire à fond, les yeux fermés. Je pourrais presque me croire de retour dans la forêt des Landes, en France, où j’ai grandi et où vivent toujours mes parents. Ah, marcher dans la pinède, sentir l’élasticité du sol recouvert d’aiguilles sous mes pas, la densité du vert au-dessus de ma tête, qui semble absorber la lumière pour mieux la diffracter! Seul le froid mordant me rappelle que je suis bien au Québec, cette terre d’accueil que je foule depuis près de vingt ans maintenant.
Le temps passe.

Le temps passe, oui, et les rêves fluctuent, traversés par des éclats de lune et d’étoiles, portés par des créatures magiques et improbables qui, toujours, se délitent dans l’entre-deux du petit matin, ce temps hors du temps, entre veille et sommeil, rêves et réalité, conscience et détachement. Mais leur trace reste dans notre cœur, comme une petite étincelle de lumière qui nous rappelle que la vie est tellement plus vaste que tout ce que l’on peut imaginer.
Un elfe, assis sur une branche du sapin que je viens de ramener, me fait un clin d’œil complice et le matou vient se frotter sur mes jambes.
Peut-être commencé-je enfin à comprendre…

     



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