Des étoiles illuminant la mer de ses grands yeux innocents, des reflets de feu dans sa chevelure blonde en bataille, du rouge sur ses joues rebondies… les couleurs se battaient pour faire partie de cette petite fille vive et malicieuse qui sautait dans les flaques. Essoufflée, un sourire grand comme un soleil éblouissant lui mangeant le visage, elle s'arrêta, les dernières gouttelettes d'eau de pluie soulevées par ses bottes scintillant autour d'elle comme des petits éclats de verre. Son rire monta dans les airs, léger, coquin. Le temps sembla alors suspendre sa course, se figer pour écouter. Les arbres cessèrent de bouger, le vent de souffler, les feuilles de bruisser et les oiseaux de voler. Cette petite fille avait en elle le don de charmer tout ce qui l'entourait, comme une magie naïve et douce.
Puis la vie frissonnante reprit son cours normal, après cet instant de grâce. Les bruits envahirent à nouveau l'espace. Pépiements d'oiseaux, doux murmures des feuilles sous la caresse de la brise d'automne, flic-floc de l'eau dans les flaques.
Un petit sourire aux coin des lèvres, je la regardais. Tendrement. Quelque chose avait changé. Imperceptiblement. Peut-être une subtile variation dans l'air, un petit quelque chose de printanier, d'irréel par cette fin d'après-midi d'automne humide et grise. Le soleil avait réussi à percer la couche de nuages. Des rayons épars frappaient le sol ici et là, redonnant de l'éclat au décor. L'eau qui recouvrait tout se mettait à luire au contact de ces faisceaux irradiants. Illusion de chaleur. Le parc reprenait vie, les couleurs s'intensifiaient. Les tons ocres de cette saison s'embrasaient soudain, donnant une apparence féerique au paysage. Comme dans un songe. Ou sur une vieille photo sépia.
Je repris tranquillement ma promenade, errant au hasard, laissant mes pas m'emmener où ils le désiraient. Un écureuil surgit devant moi sur ce sentier étroit qui allait se perdre dans les bois. Il me jeta un coup d'œil, comme pour m'évaluer. Étais-je un de ces drôles de bipèdes intéressants qui se baladait toujours avec de la nourriture - ou à tout le moins des miettes - au fond des poches ? Son regard brillant, scrutateur, ne s'attarda pas longtemps sur moi et mes mains bien enfoncées dans les poches profondes de mon blouson. Il se détourna, méprisant, et poursuivit sa quête. Je n'avais pas fait un geste.
Je lui souhaitai bonne chance avec amusement et repartis.
La petite fille était maintenant loin derrière moi, c'est à peine si j'entendais encore ses cris de joie. Je m'enfonçais sous la futaie, quelque peu clairsemée à cette époque de l'année. Des feuilles mortes recouvraient le chemin, à demi ensevelies sous la boue, luisantes de la dernière ondée. Je pris une profonde inspiration, me remplissant les poumons des senteurs si particulières de l'automne. Odeurs de pluie, de pourriture, de champignons, d'écorces mouillées. L'hiver ne serait plus très long maintenant à pointer son nez par ici. Le froid n'allait pas tarder à tout recouvrir, jusqu'aux bruits. Une chape blanche tomberait sur la terre, enfouissant en son sein toute vie. Les arbres se raidiraient. Le silence s'abattrait sur la forêt, uniquement troublé par des craquements, grincements et autres crissements. Bois se fendant sous le gel, animaux sautillants sur la neige gelée et durcie. Le gel renverrait alors le moindre rayon de soleil en éclats de lumière, en petits arcs-en-ciel kaléidoscopiques. Avant le prochain printemps, la fonte du tapis blanc et le retour de la vie.
Je quittai la forêt, émergeant sur un espace lisse et ouvert. Je me trouvai devant un étang sauvage, aux berges folles. Aucun contours précis, aucune main humaine pour en tracer les bordures. Des roseaux mêlés d'ajoncs y poussaient à tort et à travers, des nénuphars envahissaient l'eau verdâtre. Le vent en ridait la surface en petites vaguelettes légères. J'entendis une grenouille coasser, puis elle se tut, probablement offusquée par le dérangement de ma visite. Je ne me sentais pourtant pas comme une intruse dans ce lieu perdu, mais comme une amie, une complice presque.
Le soleil descendait lentement sur l'horizon - déjà ! - et les variations progressives de luminosité modifiaient insensiblement ce que je voyais. Des étoiles, encore très pâles, apparaissaient dans le ciel que les nuages avaient fini par déserter.
Je frissonnai tout d'un coup. Il me restait encore du chemin à faire pour rentrer vers la civilisation, vers mon " chez-moi " et ma vie. Dimanche sombrait dans la nuit, et bientôt il faudrait que je me remette à penser au quotidien…
Mais Lundi pouvait bien attendre encore un peu ! Je tournai les talons et, les yeux dans le vague, la tête ailleurs, très loin dans mes rêves, je rentrai sans me presser.
Ressourcée.
Montréal,
Le 02 janvier 2003
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