& Publié dans le numéro 5 d'Au Bord du Noir, revue de l'association grenobloise Projet : Noir - avril 2004
& Publié dans la revue Sol'Air, suite à leur concours de nouvelles 2004... 
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C'était le jour de mon anniversaire. Une sale journée, en vérité. Il avait plu tout au long de l'après-midi, une pluie fine, battante, grise. Qui formait comme un rideau devant les choses et les gens, les rendant flous, irréels. J'avais l'impression que cette journée n'en finirait jamais, qu'elle se traînait lamentablement depuis le matin sans parvenir à rien. Sans bouger, sans avancer. Le temps était figé dans ces heures tristes. Maussade. Comme moi, il aurait bien voulu passer à autre chose. 

A travers la fenêtre de mon bureau étriqué, je ne voyais que les gouttes de pluie qui dégringolaient sans répit. Plic, ploc… plic, ploc… un bruit diffus et monotone, mouillé et métallique. Même les tours de la ville avaient disparu derrière cet écran opaque. Le début d'un déluge salvateur ? Les rues et les caniveaux débordaient, ruisselaient, se transformaient en fleuves en crue, en mer à marée haute. L'eau tempêtait tant et plus. Le vent soufflait au diapason, mêlant sa colère au déversement du ciel.
Si seulement cette eau pouvait tout noyer, tout recouvrir, tout emporter ! Il n'y aurait plus de ville, plus de gens, plus de civilisation, plus rien. Et je serais débarrassée de ma corvée. Mais non, au contraire il allait falloir que je rentre et que je supporte sans broncher, avec un sourire et une condescendance crispés, cette cérémonie hypocrite et mesquine du " joyeux anniversaire, Sam " qui m'attendait probablement à la maison.
Comment mon anniversaire pourrait-il être joyeux ?

Quarante ans. Déjà. Une vie ratée, gâchée, inutile. Un mariage tout aussi raté, gâché, inutile. Un mari de même, qui m'ignore superbement. Un appartement triste et minable d'une banlieue tout aussi triste et minable, qui ne m'appartient même pas. Un chien grincheux, bâtard sans nom, que je déteste et qui me le rend bien. Dieu soit loué, pas d'enfants pour être témoins et partie prenante de ce gâchis. Un travail ennuyeux, sans aucune gratification, au salaire quasi minimal. Une vie rêvée. A laquelle je ne cesse de vouloir échapper sans jamais l'oser. On s'atrophie à ne rien faire. 

...

Montréal,
Le 20 novembre 2003

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