Je ne sais plus où j'en suis. Je pense sans cesse à l'Autre.
L'Autre. Celle qu'il cache soigneusement. Celle qu'il appelle ou qu'il voit quand je ne suis pas là. Je me sens trahie bien sûr. Pas tant par l'acte lui-même. Trahie par son mensonge. Un mensonge éhonté qu'il me sert hypocritement tous les jours de notre vie commune. Il ment mal, en plus. Son regard le donne. Un regard qui fuit, qui se perd dans le vide, qui détaille longuement le tissu des rideaux, cherchant à le percer peut-être pour s'évader vers dehors et le ciel vaste. Un regard qui fait tout pour ne pas croiser le mien.
Comment peut-il croire qu'il puisse me leurrer ?
Je le sens depuis quelque temps déjà. Un imperceptible changement dans son comportement, dans ses attentions à mon égard. La tendresse et l'affection sont toujours là, mais l'atmosphère entre nous est différente. Plus distante. Pas beaucoup, juste suffisamment pour que je m'interroge. Il nous est déjà arrivé par le passé de nous éloigner l'un de l'autre, mais pas comme ça. Pas de cette façon trouble, non-dite.
Je ne sais plus quoi faire. J'ai envie de le surprendre, de le reconquérir, même si je ne l'ai pas - encore - perdu. Ou alors de tout laisser tomber, d'être la première à partir, celle qui prendra les devants. Protection dérisoire contre la tempête des sentiments qui risque de m'entraîner avec elle vers le fond, l'abysse. Dans le fond le choix ne se fait pas en fonction de ce que l'on ressent pour l'autre, mais en fonction de notre courage… ou de notre lâcheté.
Puis-je accepter qu'il en voit une autre tout en restant avec moi ? Si je pouvais au moins être sûre qu'il ne l'aime pas. Pas vraiment. Qu'il m'aime, moi. Qu'il ne veut pas me perdre. Que je représente quelque chose d'indispensable à sa vie. Je me leurre, je le sais bien. Il me trompe et je me leurre, quelle ironie ! Dans le fond, qu'est-ce qui me gêne le plus ? Le fait de le partager ? Le mensonge ? Ou simplement la peur ? Peur qu'il me laisse, peur d'être à nouveau seule. J'ai été si seule si longtemps… puis je l'ai rencontré, lui. Mon âme sœur, disais-je à l'époque. Où est passé ce temps-là ?
Il m'a apprivoisée, m'a conquise, a ouvert mon cœur à des choses inconnues, effrayantes. Car l'amour est apeurant. Il nous émeut, ouvre une brèche dans nos cœurs, nous possède tout entier, nous dévore, nous consume, nous détruit parfois. Alors comment repartir, aller de l'avant, lorsque son cœur meurt, dévasté par une tornade meurtrière, stérile ?
Mais je n'en suis pas rendue là. Je vais me battre. Sans rien dire. En douceur. Tenace. Essentielle. Je peux accepter qu'il la voit, elle, l'Autre, si son amour m'est acquis quoi qu'il arrive. C'est impossible, je le sais bien. L'amour est comme toute chose sur cette terre, il se travaille et s'entretient pour durer. Sinon il fane et dépérit, fragile fleur sous la sécheresse. L'ai-je délaissé ? Je ne sais.
Peut-on aimer plusieurs personnes en même temps ? Peut-être. Peut-être pas. Ce besoin compulsif des hommes de traquer, de séduire, de conquérir, comme un pâle avatar de chasse ou de guerre, est-il inscrit dans leurs gènes ?
Je ne dis pas que je suis une femme soi-disant parfaite (ça n'existe pas), qui ne regarde jamais les mâles séduisants qui passent à sa portée. Non, au contraire. Mais moi je me contente d'admirer, sans jamais aller plus loin. A mon âge de toute façon ce serait difficile. Mais aussi attirants que ces hommes puissent être, ce ne sont que des abstractions, des images. Flirter flatte l'ego, nous rend fier, sûr de nous. La superficialité de ces choses les rend plaisantes. Non dangereuses.
Le sexe pour le sexe, oui. Ca je peux le comprendre. L'attraction de l'inconnu, de l'aventure, de l'exotisme. Puéril mais humain. Toutefois passé un certain temps, ça suffit. Il n'existe pas de plus grand plaisir que de faire l'amour avec quelqu'un qui vous aime, vous connaît, qui écoute votre corps et vos envies.
L'Autre est-elle plus jolie que moi ? Plus jeune peut-être, sans ces rondeurs qu'autrefois il trouvait pourtant sexy. Ou alors plus sensuelle, plus libérée. Car je ne l'ai jamais vue. Je sais quand c'est elle qui appelle sur son portable. Je ne réponds jamais à ce téléphone. Son téléphone. D'ailleurs depuis quelque temps il prend soin de le mettre hors de ma portée. Ou alors il l'éteint. Je n'en connais pas le NIP d'activation. Il a peur. Peur d'être pris sur le fait, comme un gamin, peur que je l'espionne ? Je ne m'abaisserai pas à cela. Je sais qu'il la voit, je n'ai pas besoin de preuves. Ai-je envie de la connaître ? Je n'en sais rien. Oui, pour voir si elle en vaut la peine. Non, pour ne pas me comparer à elle et m'apercevoir qu'elle est bien mieux que moi.
L'esprit humain est tellement étrange parfois. Il peut accepter tant de choses. Même les plus incongrues ou celles qui font le plus mal. Mais pas le mensonge. Le mensonge détruit tout, comme un virus insidieux et invisible qui travaille dans l'ombre.
Comment s'appelle celle qui me vole mon homme ? Celle qui occupe toutes mes pensées ? Est-elle blonde, brune, rousse ? Je me fais du mal en pensant à cela, et pourtant je ne peux pas faire autrement. J'en rêve même la nuit. Et je me réveille, mal à l'aise, triste, avec l'envie de pleurer qui fait un nœud dans ma gorge. Résultat ? Des cernes disgracieux et la fatigue qui s'accumule. Je vais me reprendre. Si seulement il pouvait me le dire en face ! J'ai l'impression que cela mettrait fin à une partie de mes tourments. Illusion ?
Si cette situation dure, je ne pourrai pas tenir, je le sais. Je suis incapable de me mentir à moi-même. Je ne supporterai pas de revivre un chagrin d'amour proche du désespoir. Il le sait, c'est même pour cela qu'il a eu tant de mal à gagner ma confiance et mon amour, il y a des années. Une éternité. Fatalité de la vieillesse. Oh, je ne suis pas non plus un vieux débris, comme disent les jeunes qui ne se rendent pas compte qu'un jour ils en seront là eux aussi. Au contraire, je fais même plus jeune que mon âge, et les hommes se retournent encore parfois sur moi dans la rue. Même si cela devient de plus en plus rare. Anecdotique.
Je me perds. Je digresse. Mon instinct de survie prendra les commandes d'ici peu, je le sens vibrer en moi. Je n'en peux plus. Vaut-elle la peine de mon départ ? Et pourrais-je seulement lui survivre, me survivre ?
Je lui donne encore quelques semaines. Après je ne réponds plus de rien.
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AVIS DE RECHERCHE - UNE FEMME DISPARAÎT DE SON DOMICILE.
De notre envoyé spécial à Montréal, Jonathan Tremblay.
Cela fait déjà plus de 10 jours que Jacynthe Dupire a disparu de son domicile, dans la journée du 02 août. Elle serait passée à la banque pour clore son compte puis se serait tout bonnement évanouie dans la nature, sans rien emmener avec elle, ni vêtements ni effets personnels d'aucune sorte. Ses proches sont extrêmement inquiets, craignant le pire.
Si vous apercevez cette femme, s'il vous plait appelez à ce numéro :
0800 …… …