Le fond d'écran est une reproduction d'un dessin de Chantal Turconi.

 

Bientôt Noël. Le sapin, les cadeaux, le Père Noël… rien de tout ça pour moi. Ce n'est pas que la magie de Noël soit inexistante, mais quand on n'a pas de chez-soi… ben on s'en passe, des décorations. C'est pas que je sois dans la rue, non. Pas vraiment. Quoique. Des fois, je m'demande. Oh, et puis je n'ai pas à chialer, j'en ai eu, des Noëls chaleureux. Autrefois. Il y a si longtemps. Ca me manque, parfois. Je garde les images et les sensations en mémoire. 

Le sapin, un vrai, odorant, immense, qui touchait le plafond. Tout illuminé de guirlandes chatoyantes et de boules multicolores qui reflétaient la lumière. Avec une étoile toute en or à son faîte. Et des anges souriants au bout des branches. Une crèche à ses pieds. Et le chat, malicieux, joueur, qui essayait d'attraper tout ça, qui balançait des petits coups de pattes sur les décorations, rendant ma mère folle. 
Le feu dans la cheminée, qui chauffait toute la maison. Les flammes qui dansaient, oranges, bleues. Le bois qui crépitait, et l'odeur aromatique qui se répandait dans l'air. Il pouvait bien faire froid dehors, les vitres étaient couvertes de givre, parfois même des petites stalactites tombaient des rebords. Mais le gel restait à l'extérieur. 
Le repas du réveillon. Mmmm ! Un souper très simple, rien d'extravagant comme du caviar ou du champagne, mais des mets cuisinés avec amour, des choses que l'on ne mangeait pas tous les jours. Et puis les biscuits secs de Noël, aux épices. Et le chocolat chaud vanillé, luxe suprême. 
Et les cadeaux… secondaires en fait, les cadeaux. Et pourtant essentiels aussi. Mais pas comme aujourd'hui, pour bien des mômes qui n'attendent Noël que pour ces crisses de cadeaux. De jolis paquets au pied de l'arbre, avec un nœud rouge autour et du papier brillant. Le Père Noël passait pendant que l'on rangeait la cuisine, mon frère et moi. Peut-être la seule fois de l'année où faire la vaisselle devenait une joie ! On se précipitait tous les deux, voulant être sûrs que le Père Noël nous verrait en arrivant… on se disait que ça rattrapait toutes nos bêtises de gamins de l'année qui venait de s'écouler, et pis qu'on lui montrerait bien qu'on était des enfants sages méritants leurs cadeaux… On ne le voyait jamais, le vieux bonhomme, mais on l'entendait s'affairer, à côté dans le salon, au pied du sapin. Puis repartir dans un bruit de grelots. On attendait minuit pour les ouvrir, nos cadeaux, en savourant ce moment. L'impatience de l'attente dans les dernières minutes, la joie d'arracher les emballages, l'exultation de la découverte d'un camion rouge vif pour mon frère, d'une poupée pour moi… Et toujours l'orange traditionnelle offerte à cette occasion. Pour se rappeler ce qu'était Noël autrefois dans les campagnes. Il n'y a pas si longtemps. 
Et aussi, surtout, le temps passé en famille. Tous les quatre. Mes parents, mon frère et moi.

Plus tard j'ai eu d'autres Noël. Peut-être moins beaux, en tout cas différents. J'ai grandi. J'ai cessé de croire au Père Noël, ce vieil homme barbu et bedonnant qui rit fort et passe dans toutes les demeures la nuit de Noël. J'ai quitté la maison. Je suis parti très loin, au-delà des mers. Pour vivre ma vie. Ou en tout cas essayer. Ai-je réussi ? Rien n'est moins sûr. Pas au sens conventionnel du terme en tout cas. Et les années ont passées, mes parents ont disparus, la maison a été vendue. 
Aujourd'hui je suis vieille. Et seule. Je ne me suis jamais mariée, je n'ai pas eu d'enfants. Je n'ai pas gagné beaucoup d'argent non plus. Je n'ai même pas de chez-moi. Pourtant ce soir je suis bien plus riche que beaucoup, car j'ai mes souvenirs. La chaleur et la magie de Noël vivent en moi pour toujours. Les sourires des enfants qui jouent dans la neige me suffisent.

Montréal,
Le 18 décembre 2002

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